Chacun parle. Personne ne s’entend.
On vit une époque de saturation verbale, d’infos en boucle, d’opinions instantanées…
Et pourtant, la compréhension mutuelle est en chute libre.
Ce n’est pas un bug récent. C’est une vieille infection, que l’humanité traîne depuis longtemps.

Bienvenue dans l’ère de Babel 2.0.

Consultation express : trouble de la compréhension généralisée

On n’a jamais eu autant de moyens pour se parler.
• On peut envoyer une photo de nos frites à l’autre bout du monde en 3G.
• On peut débattre avec un inconnu à 2h du matin pour savoir si c’est “ton” ou “ta” Covid.
• On peut commenter, liker, partager, vociférer… partout, tout le temps.

Et pourtant…
On se comprend de moins en moins.

Symptômes fréquents : chacun dans sa bulle, chacun sa version

Tu l’as sûrement vécu :

• Tu dis “écologie” → on te répond “oui, mais pas au prix de notre confort”
• Tu dis “liberté” → on réplique “attention à la manipulation des masses”
• Tu dis “justice” → on balance “ouais enfin… à deux vitesses alors”

Même dans ta famille, à table, tu lâches un mot…
et tu sens qu’il explose différemment dans chaque tête.

Chacun vit dans son film, avec ses sous-titres, son algorithme, ses filtres.
On utilise les mêmes mots, mais on n’habite plus le même monde.

Antécédents historiques : un vieux bug dans le système

Cette fracture du langage, cette impression de parler pour rien, elle ne date pas d’hier.
Elle est même racontée dans une vieille histoire qu’on retrouve dans plusieurs traditions religieuses, sans avoir besoin d’y adhérer.

Petit résumé pour les non-initiés :

Dans un texte très ancien (appelé la Genèse), on raconte qu’à une époque lointaine, les humains parlaient une seule langue.

Un jour, ils décident de construire une immense tour pour “toucher le ciel”.
Mais ce projet est vu comme un excès d’orgueil.
Alors une force supérieure brouille les langues.
Plus personne ne se comprend.
Le chantier s’effondre.
Et chacun repart de son côté.
Trop de pouvoir, pas assez d’écoute = effondrement.

Et ailleurs ? D’autres mythes, même message

La Tour de Babel, ce n’est pas une exclusivité religieuse.
D’autres civilisations ont raconté la même chute, avec d’autres mots :

• Chez les Grecs, Prométhée vole le feu (la connaissance) aux dieux → punition.
• Chez les Mayas, les humains oublient leur lien avec la nature → reset cosmique.
• Dans les traditions asiatiques, l’homme souffre quand il se croit séparé du tout.

Partout, même enseignement :

Quand on croit tout savoir, tout maîtriser, tout contrôler…
on finit par se perdre.

Aujourd’hui, la tour a changé de forme

Elle n’est plus en pierre.
Elle est faite de données, d’algorithmes, de vidéos virales, de messages instantanés.
Elle s’appelle Internet, réseaux sociaux, info en boucle, chatbots et guerres d’interprétations.

Et ce qui bugue aujourd’hui…
ce n’est plus la langue.
C’est le sens.

Diagnostic : inflammation sémantique aiguë

Essaie de discuter climat, genre ou politique avec ton oncle, ta collègue, ton ado.
Tu verras :

• Mur.
• Fièvre argumentative.
• Frissons de désaccord.
• Éruptions de mauvaise foi.

Chacun vit dans sa tour.
Et chacun pense que c’est le vrai monde.

Ce n’est pas que les gens sont bêtes.

C’est qu’on n’a plus les mêmes repères.
Pas les mêmes définitions.
Pas les mêmes peurs.
Et surtout : pas le même “monde dans la tête”.

On parle… Mais on ne parle plus depuis le même endroit.

Alors, on fait quoi ? On saute ?

Non.
Mais peut-être qu’on peut descendre d’un étage ou deux.
Redescendre sur Terre.
Dans le réel.
Là où on peut encore se regarder, se parler, s’écouter.

Petite ordonnance de prévention Babelienne

Pas de panique. Quelques gestes simples suffisent à renforcer notre système relationnel :

1. Parle moins vite.
Ça calme. Toi et l’autre.

2. Pose la question : “Qu’est-ce que tu veux dire, vraiment ?”
Tu verras, ça ouvre des portes.

3. Ose dire “Je ne sais pas.”
C’est pas une faiblesse. C’est une base saine.

4. Parle avec quelqu’un qui pense autrement.
Pas pour le convaincre. Juste pour l’entendre, essayer de comprendre sa position

5. Et surtout… garde l’humour.
Parce qu’on est tous un peu perdus. Et c’est OK.

Pronostic ? Réversible (avec un peu de soin)

Babel 2.0, ce n’est pas une malédiction.
C’est un rappel salutaire :

On ne peut pas construire ensemble…
si on ne prend pas le temps de s’entendre.

Pas juste entendre les mots.
Mais entendre ce qu’il y a derrière.

Et peut-être qu’avec un peu d’écoute, un peu d’humanité…
et un bon café partagé…
on pourra redescendre de nos tours.

Pour aller plus loin (et élargir son champ lexical intérieur)

Livres :

• Petit traité de l’abandon — Alexandre Jollien
• La parole manipulée — Patrick Charaudeau
• Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) — Marshall Rosenberg

À voir / écouter :

• En quête de sens — un road-movie inspirant
• The Social Dilemma — pour comprendre la bulle numérique
• France Culture : “Dis-moi comment tu parles…” — une pause salutaire dans le bruit ambiant

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